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    Les entraves à la libre circulation des marchandises telles que les MEERQ ne doivent pas enfreindre le principe de libre-échange intracommunautaire, présenté comme l’un des piliers de l’Union Européenne. Le droit européen est donc intervenu afin de garantir cette libre circulation, et c’est ainsi que l’Union douanière a permis par le biais du traité, l’élimination des restrictions quantitatives entre les Etats membres.

 

 

Ces restrictions sont énoncées aux articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), visant les importations, les exportations, et interdisant « les restrictions quantitatives, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent ». Néanmoins, aucune de ces dispositions ne donne une définition précise des mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative (MEERQ). Il a donc fallu se tourner vers la jurisprudence. C’est la Cour de Justice dans son arrêt « Dassonville » qui déclare que constitue une MEERQ « toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire »[1] . Ainsi, la condamnation de la mesure est encourue dès lors qu’il s’agit d’une mesure prise par un Etat et que celle-ci est de nature à rendre plus difficile voire à empêcher le commerce entre les Etats membres.

 

Toutefois, l’article 36 permet de réserver certains domaines à la compétence des Etats membres sans pour autant leur conférer une compétence exclusive. L’intérêt est de trouver un équilibre entre le principe de la libre circulation des marchandises et l’entrave qui ne peut être justifiée. Des mesures d’harmonisation ont également été mises en place par le biais de directives d’harmonisation permettant de lever des restrictions. Il faudra donc voir dans tous les cas si ce type de directive n’existe pas avant de se tourner vers l’article 36 TFUE.

 

Le problème sera donc la détermination précise entre le domaine du droit national et celui du droit de l’Union. De fait, une MEERQ sera caractérisée dès lors qu’une affectation pourra être indirecte ou potentielle, c’est à dire qu’il suffira de démontrer qu’en l’absence de la mesure en cause, le commerce interne de l’Union se développerait davantage « sauf, évidemment si elle est conforme à une règle communautaire telle que celles qui prohibent le commerce d’objets de contrefaçon »[2] ou qui sont justifiées par le traité.

 

 

  • La détermination d’une MEERQ :

 

Les MEERQ se caractérisent de deux manières, à savoir soit par une mesure discriminatoire, soit par une mesure indistinctement applicable. Une mesure est discriminatoire si elle favorise les produits nationaux en imposant aux produits importés certaines conditions pouvant être considérées comme des restrictions. Une mesure est également discriminatoire lorsqu’elle favorise les produits nationaux en leur réservant par exemple, certaines appellations. En principe, une mesure discriminatoire est toujours une MEERQ, et ceci a été confirmé dans l’arrêt « Dassonville »[3], où la Cour de Justice a estimé que constituait une MEERQ, une loi belge exigeant que chacune des bouteilles soit accompagnée d’une pièce officialisée attestant leur droit à l’appellation scotch whisky, puisque l’obtention de cette pièce était délicate lorsque l’on pratiquait l’importation dans un autre Etat membre.

 

Une mesure indistinctement applicable correspond aux entraves techniques définies par des normes imposées aux produits nationaux ou importés. Quant aux mesures visant le produit, sont ainsi considérées comme des entraves ayant des effets restrictifs sur la libre circulation, les exigences sur la dénomination, la forme, les dimensions, le poids, la composition et le conditionnement[4]. Les Etats membres sont donc limités quant à la réglementation qui a pour effet de rendre les opérations d’importation et d’exportation plus difficiles et doivent de ce fait, prendre en considération les objectifs du traité mais aussi respecter le principe de proportionnalité. Seules les restrictions commerciales dans des « situations purement internes » sont donc autorisées.

 

  • La justification possible de restrictions :

 

L’article 36 TFUE permet une conciliation entre certaines dispositions nationales ayant un effet restrictif sur le commerce et le principe de libre circulation des marchandises. Ainsi, des dispositions limitant le libre échange sont encore aujourd'hui mises en oeuvre, quand elles sont justifiées par la protection de l'ordre public. En d'autres termes, quand une disposition nationale limite les échanges intracommunautaires, mais que son objectif est de protéger la moralité publique, la sécurité publique, la protection sanitaire des personnes et des animaux, la préservation des végétaux, la protection des trésors, ou encore la protection de la propriété industrielle et commerciale, celle-ci est maintenue et déroge au principe de libre circulation des marchandises.

 

Ainsi, l’article 36 TFUE prévoit des dérogations aux libertés du marché intérieur, telles qu’elles sont prévues aux articles 34 et 35 TFUE, dès lors qu’elles sont justifiées pour certaines raisons spécifiques et de ce fait, admet certaines mesures discriminatoires. La Cour de Justice prévoit également des raisons dites impérieuses (comme la protection de l’environnement) que les Etats membres peuvent invoquer pour justifier des mesures nationales. La Cour interprète strictement la liste des dérogations prévues à l’article 36 TFUE, et ajoute à ceci le respect du principe de proportionnalité. De ce fait, il faudra alors vérifier si une MEERQ est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des domaines prévus à l'article 36 TFUE, mais également s’il n’existe pas d’autres mesures moins contraignantes pour la libre circulation des marchandises.

 

Pour les mesures indistinctement applicables, les Etats doivent également justifier les restrictions qu’ils prescrivent. En effet, il appartient aux Etats d’apporter des arguments pertinents, puisque les « exigences d’intérêt général » ajoutées par l’arrêt dit « Cassis de Dijon »[5] et les motifs du traité ne sont pas suffisants. Selon cet arrêt, pour être justifiées, les mesures restrictives doivent remplir trois conditions : satisfaire une exigence impérative, poursuivre un but d’intérêt général et atteindre ce but par le moyen qui porte le moins atteinte à la libre circulation des marchandises. Par conséquent, certaines condamnations nationales trop contraignantes encourent une sanction, surtout celles qui édictent des prohibitions complètes alors que des mesures moins attentatoires au principe de liberté de circulation des marchandises pourraient être prises. Tout produit légalement fabriqué et commercialisé sur le territoire d'un autre Etat membre doit donc de ce fait être admis, c'est-à-dire pouvoir être importé sur le marché de tous les Etats de l’Union Européenne.

 

 

  • L'apport d'une solution quant au respect des compétences :

 

Néanmoins, un problème est apparu et s’est fait ressentir dans la conciliation prévue entre la compétence des Etats membres et celle de l’Union Européenne. En effet, « (l)e contrôle juridictionnel des réglementations nationales, pour justifié qu'il soit, s'est traduit progressivement par la multiplication d'affaires dans lesquelles était invoquée, souvent abusivement, l'incompatibilité avec le droit communautaire de réglementations nationales dont l'objet était de plus en plus éloigné de la protection du territoire national, comme celles qui concernent certains modes de publicité commerciale ou l'ouverture des magasins le dimanche »[6].

 

La Cour de Justice est donc intervenue dans son arrêt « Keck et Mithouard »[7] qui a permis d’établir la distinction entre les réglementations relatives aux produits eux-mêmes et les modalités sur leurs ventes, seules les premières pouvant être confrontées à l’interdiction des MEERQ. Ainsi, ont été caractérisé comme des modalités de vente, les heures d’ouverture du magasin, le lieu de vente, le personnel qualifié, la publicité et les méthodes de commercialisation comme le démarchage.

 

Afin de pouvoir détenir une présomption de validité sous conditions, la Cour déclare que la mesure doit s’appliquer de manière indifférenciée à tous les opérateurs mais aussi, elle affirme que « contrairement à ce qui a été jugé jusqu’ici, ne sont pas aptes à entraver le commerce entre les Etats membres au sens de la jurisprudence « DassonVille », des mesures qui affectent de la même manière en droit comme en fait la commercialisation des produits nationaux et ceux en provenance des autres Etats membres »[8]. En effet, échappent à l’article 34 TFUE des mesures qui ne gênent pas davantage les produits importés que les produits nationaux. Les secondes échappent de ce fait, à la définition large donnée par la formule « Dassonville », et par voie de conséquence à la prohibition posée par l’article 34 TFUE. Toutefois, en présence de telles mesures et si les conditions ne sont pas remplies, elles peuvent être justifiées par l’article 36 ou la protection de l’intérêt général, à partir du moment où ces dernières restent proportionnées. Néanmoins, cette novation révolutionnaire dans la définition des mesures restrictives a sans doute posée plus de difficultés qu’elle en a résolue.

 

 

  • Une réelle efficacité de la mesure ?

 

 

Par son arrêt "Keck et Mithouard", la Cour parle désormais de revirement de jurisprudence. En réalité, elle n’abandonne pas sa jurisprudence précédente mais procède à une nouvelle utilisation puisqu’elle la circonscrit aux hypothèses de mesures visant les produits et elle l’exclut pour les mesures visant les modalités de vente : "distinguer, au sein des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, les règles qui concernent les « conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (...) » d'une part (...), les règles « qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente », d'autre part (...). Les premières demeurent qualifiées de mesures d'effet équivalent, les secondes, sous certaines conditions, échappent désormais à la définition large donnée par la "formule Dassonville" et par voie de conséquence à la prohibition posée par l'article 28 du Traité de la CE »[9].

 

Toutefois, par la suite est venue le temps de l’hésitation et des contradictions pour certains auteurs. En effet, la Cour elle-même est venue s’interroger sur la portée de la distinction opérée par sa jurisprudence Keck et Mithouard. L’affaire « Mars »[10] en restera l’exemple type, puisque la Cour finit par conclure que la distinction opérée n’est pas opérationnelle. On a donc l’impression que l’on revient au critère classique de « discrimination » puisqu’au sein même des mesures indistinctement applicables, la Cour va venir vérifier si ces mesures n’entraineraient pas une discrimination indirecte.

 

Ainsi plusieurs critiques peuvent se dégager :

 

Critique 1 : la division n’est pas forcément opérationnelle puisque certaines mesures ne peuvent être classées dans aucune catégorie « on a en effet très vite pu constater que certaines mesures nationales ne relevaient en réalité d'aucun des deux termes de la « summa divisio » opposant techniques de commercialisation et modalités de vente »[11].

 

Critique 2 : les avocats généraux utilisent finalement toutes les définitions des jurisprudences « Dassonville », « Cassis de Dijon », et « Keck et Mithouard » afin de trouver une solution : « Les hésitations de la Cour se manifestent également par le syncrétisme contestable dont font parfois preuve les raisonnements des avocats généraux ».

 

Critique 3 : l’exception à l’exception pose des difficultés puisqu’en effet, pour échapper à la qualification de MEERQ, les mesures visant les modalités de vente, les opérateurs doivent être affectées de la même manière en droit comme en fait tant les produits nationaux que ceux d’autres Etats membres. De ce fait, la présomption de conformité est souvent renversée puisque la Cour va vérifier que les mesures remplissent bien ces critères ce qui revient à vérifier qu’elles ne sont pas discriminatoires. Il est donc intéressant de se demander pourquoi effectuer une présomption de conformité alors que le contrôle de la discrimination est toujours utilisé ?

 

Critique 4 : par son renvoi aux juridictions nationales en utilisant une méthode de « subsidiarité juridictionnelle », la Cour ne permet pas de clarifier sa jurisprudence pour apporter des solutions homogènes et lisibles pour les opérateurs économiques et les Etats.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] CJCE, 11 Juillet 1974, « Procureur du Roi contre Dassonville », affaire 8/74, recueil 837, point 5.

[2] Claude J. Berr, répertoire de droit communautaire, « union douanière », Août 2007 (mise à jour 2014).

[3] V. supra, CJCE, 11 Juillet 1874, « Procureur du Roi contre Dassoville ».

[4] CJCE, 20 Novembre 1979, « Rewe c/ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein [Cassis de Dijon] », affaire 120/78, recueil 649.

[5] V. supra, CJCE, 20 Février 1979, « Casis de Dijon ».

[6] Claude J. Berr, répertoire de droit communautaire, « union douanière », Août 2007 (mise à jour 2014).

[7] CJCE, 24 Novembre 1993, « Keck et Mithouard », affaires jointes C-267/91 et C-268/91, Recueil I. 6097.

[8] V. supra CJCE, 24 Novembre 1993, « Keck et Mithouard ».

[9] Restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent - Denys Simon - aout 2004 (dernière mise à jour : Janvier 2013), point 60

[10] CJCE, 6 Juillet 1995, « Mars », affaire C-470/93

[11] Restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent - Denys Simon - aout 2004 (dernière mise à jour : Janvier 2013) point 64

 

 

 

 

 

 

Les mesures d'effets équivalents à restriction quantitative ("MEERQ").

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